27/07/2007

Le passeport vert


J'ai eu mon passeport vert, qui mieux que moi ?
Le jour où te prend l'envie, j'ai dit adieu à mes amis
Ma mère se lamentait : mon fils est parti au pays des Roumis !

En Espagne, le jour même nous sommes arrivés
J'ai trouvé une belle servir, elle demanda : Que veux-tu ?
Je veux déjeuner. Elle m'a amena du porc et je l'ai mangé.
Mange et tais-toi ! Ce que tu demandes est impossible.
Au marché, j'ai trouvé des fruits de toutes sortes.
Boune dia! Dis-moi, seniora, cuento le prix ?
Je ne trouve pas de langue pour répondre.

Je me suis rendu à la gare, courir au train, qu'il m'emporte à la frontière.
Venez voir les amis, les douaniers quand ils fouillent.
Nous étions sept à passer, dix sept à refouler.
J'ai laissé mon pays fort loin pour venir à Paris.
Et me voilà au travail.
Pour devenir riche, avoir une auto, et moi aussi conquérir les belles.
Je travaillais les samedis et les dimanches, les vendredis et le jour de l'an.
J'ai beau préserver, mais les jours pèsent sur moi.
Douze années de travail à Paris, et ce n'est pas fini.
Trente cinq mille, je les gagne toutes les semaines.
Et toutes les fois je me dis :
C'est cette fois que j'aurai mon auto, parmi les meilleures.
Je ne m'arréte pas de me tracasser ; de faire mes comptes, je suis effrayé.
Je joue au tièrcé, j'éprouve ma chance pour gagner le million.
Mais le cheval que je joue gagnant, se retrouve parmi les derniers.
J'insiste encore une fois, peut-être aurais-je deux millions.
J'ai beau travailler en ce monde, je n'ai point de chance.
L'un a reçu de Dieu, il ne dort que sur des matelas et des plumes.
Il s'offre jusqu'à se payer un gardien pour son auto.
Mais l'autre, exilé, perdu, erre dans les pays étrangers.
O toi qui te dirige vers Paris, viens que je te dise:
Méfie-toi sinon ils te rouleront.

Le réveil sonne à quatre heures, alors qu'il fait encore nuit.
Je trouve la rue pleine de monde, de toutes conditions sociales.
Je veux me renseigner : sifoupli ya madam...
Elle haussa les épaules et ne répondit mot.
- Outiva? moi joussiriane.
- Elle dit : j'manfou safiriane.
- Madmozil, j'manfou kissafidir?
A tourner en rond, j'arrive au travail à la mi-journée.
J'ai été voir le patron et lui parler.
M'siou Ahmed, dit-il, ici yanapa des zistoires !
Toute la journée je travaille, et ne reviens que le soir.
Je trouve mon souper gaché, il y a des légumes mais pas de condiments.
Mes voisins de chambre sont en colère : pourquoi n'ai-je pas cuisiné ?
- Il te faut te débrouiller, sinon on te règle tes comptes.
- Il faut te lever de bonne heure et nous approvisionner dans les règles.
Mes compatriotes sont mécontents, j'ai demandé à habiter avec des étrangers.
Quand ils m'ont parlé je me suis rendu compte.
Que tous, tant qu'ils étaient, étaient Chleuhs !
Il m'ont répondu : Adieu, nous n'avons pas où t'héberger.

Cheikh Ahmed :
Conteur et chanteur de l'émigration, ancien émigré ayant séjourné en France.
Cf.disque 45t.Casaphone, CSP.163 AB.
*
Source:
Les Arabes en France.
Mekki BENTAHAR.
Société marocaine des éditeurs réunis- Rabat 1979 - pages : 20&21

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